LES MUSICIENS AFRICAINS ET LE JAZZ

Beaucoup de musiciens Africains actuels attribuent au Jazz des qualités surnaturelles ; il suffit, pensent-Ils , d’avoir le privilège d’être formé dans un institut ou collège réputé, pour entrer dans la cour des grands…et irradier, avec des procédés harmoniques plutôt complexes et une grande dextérité technique, d’abord les collaborateurs proches, puis le public, et (pourquoi pas ?), atteindre une dimension planétaire digne de John Coltrane ou de Miles Davis…

Le jazz, potion magique des musiciens Africains ?

Le premier critère qui pousse les musiciens Africains à étudier le Jazz est bien entendu lié au fait que les personnages les plus importants qui ont marqué cette musique sont des Afro-Américains. Donc, des personnes originaires d’Afrique ; Louis Armstrong, Duke Ellington, Charlie Parker, Miles Davis, John Coltrane, pour ne citer que ceux -là.

Jusqu’à ce point, tout va bien ! L’Africain que je suis est tellement fier des traces légendaires laissés par ces génies, que je n’hésite pas à le rappeler à mes interlocuteurs non Africains : cette musique qui s’est immiscée dans presque tous les styles de musique de notre temps, vient du continent noir. Je me lance donc à corps perdu dans l’apprentissage des gammes, des accords et autres arpèges carabinés qui illustrent ce mode d’expression moderne, j’apprends les morceaux les plus représentatifs, ” mélodieux ” ou franchement déroutant dans leur ” dissonance ” et si j’en ai les moyens, je vais dépenser une véritable fortune au collège de Berklee, aux Etats-Unis, pour que, muni d’un diplôme en bonne et due forme, on ne puisse plus contester la validité de mon art.

A ce niveau, les choses sont encore acceptables ; par contre lorsque nous, les musiciens Africains, tenons à exécuter en public une œuvre dont la réputation relève autant de la musicalité que de la prouesse technique, il y a fort à parier que : ” Le ridicule tue ! ” Au risque de déplaire à certains de mes pairs je pense qu’il est inutile d’essayer d’abuser son auditoire en jouant un morceau qui n’est réservé qu’à une élite de prestataires : ceux qui arrivent à jouer des choses complexes avec une évidente simplicité !

Voir un artiste endurer de grandes difficultés techniques au cours d’un concert, dénature le spectacle : la scène devient une arène dans laquelle on a jeté un homme en pâture….au public lui-même ! La tromperie et le bluff ne sont plus possibles à camoufler. La preuve : un auditeur Africain même non averti, fera la différence entre un Charlie Parker, où l’émotion sera palpable, et un imitateur mal inspiré.

Vient ensuite la dimension de musicien plus habile que les autres dans l’art d’harmoniser et même d’arranger les œuvres des autres, quand on est formé à cette discipline jazzistique. Tant que l’on sait faire preuve d’humilité en se mettant au service d’une personne, qui somme toute va vous rémunérer pour votre savoir faire, il est possible que l’œuvre générée puisse aboutir à une fusion harmonieuse. Donc, tout va bien !

Là où les choses se gâtent dans ce type de collaboration c’est lorsque la loi du : ” J’ai appris donc je connais ” est impitoyablement appliquée. Le musicien formé à bonne école, celle du monde cartésien, va imposer des vérités à son employeur, des axiomes et autres normes dans lesquels Il s’est fait une cage plaquée d’or ; Il n’y a plus d’échanges ! Il y a simplement un mode de pensée issu d’un autre monde, dans un autre contexte social, qui vient s’imposer. L’oncle Tom a réussi à dicter sa loi !

Pour ne pas faire de cette histoire une montagne qui accouche d’une souris j’aimerais terminer avec cette remarque : un musicien, comme toutes les personnes qui sont censées créer, acquiert son savoir faire, son esprit de synthèse et sa liberté (tant revendiquée dans le jazz) non pas en s’enfermant dans un mode de pensée, mais en restant à l’écoute de lui-même : s’éveiller à un style de musique, fût il originaire d’Afrique, ne règle pas la question de l’authenticité, cette qualité qui est susceptible de permettre (enfin !) la notoriété.